YANN CASPAR: Lu à l’étranger. Europe : les contrées orientales au service d’un Ouest finissant

L’immigration intra-européenne provoque certes moins de crispations identitaires que l’immigration extra-européenne. Mais elle n’en demeure pas moins un facteur éminemment déstabilisant pour les économies et les sociétés européennes. Le roman de l’écrivain hongrois originaire de Transylvanie Zoltán Böszörményi, Le Temps long, en donne une démonstration saisissante.

L’on connaît les flux migratoires allant du Sud au Nord, inter-continentaux, moins ceux consistant en l’émigration de populations de l’Est vers l’Ouest, surtout lorsqu’il s’agit de flux intérieurs à un continent. En Europe, ces flux sont éminemment difficiles à quantifier, et toujours sous-estimés, mais un faisceau d’indices permet de prendre conscience de leur gravité.

Il existe par exemple plus de 100 000 enfants roumains grandissant sans au moins un de leurs parents, 20 000 étant quant à eux élevés sans leurs parents, partis travailler en Europe de l’Ouest — cette partie du continent ayant « généreusement » accueilli ses frères orientaux après des décennies de joug communiste.

 

Les confessions d’une fillette

Zoltán Böszörményi livre un récit bouleversant d’une jeune fille anorexique et agonisante, élevée dans un coin reculé de la Roumanie, rongée et finalement détruite par l’absence de sa mère travaillant en Italie. Ses parents de substitution, des voisins, une grand-mère, n’y peuvent rien, elle se laissera mourir.

Böszörményi a connu cette fille, il s’est rendu dans l’hospice où elle a enduré son calvaire. Son roman s’appuie sur un véritable travail de journaliste d’enquête, il est on ne peut plus cru, réel. Au-delà de cet aspect apportant une crédibilité considérable à l’ensemble, l’ouvrage de Böszörményi dégage également une force psychologique étonnante, les moindres aspérités des conséquences sur un enfant de l’absence d’une mère étant dépeintes avec assurance et finesse. Böszörményi fait parler la fillette et propose aux lecteurs ses confessions aux accents féériques.

 

L’Est en lambeaux

Depuis 1990, les pays d’Europe centrale et orientale, particulièrement la Roumanie et la Bulgarie, membres de l’UE depuis 2007 et bientôt de Schengen, ont perdu plus d’un quart de leur population. Baisse de la natalité, mais aussi émigration vers l’Ouest. Démographiquement, l’Ouest tient toujours, mais seulement en raison de l’immigration extra-européenne.

Une Europe qui marche sur la tête donc : sa partie orientale est vidée de ses forces vives, des enfants y sont brisés, alors que l’Ouest ne parvient plus qu’à maintenir sa prospérité toute relative en aspirant massivement des populations du Sud ou de l’Est.

L’œuvre de Böszörményi résonne comme un avertissement désespéré : la rupture du lien affectif entre parents et enfants déchire non seulement les âmes, mais aussi la société, l’Europe.

 


Zoltán Böszörményi, Le Temps long, éd. du Cygne, 114 pages. Traduit du hongrois par Raoul Weiss.